La Déclaration universelle des Droits de l'Homme et le droit musulman

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La question de la compatibilité des règles de la sharî'a ou du droit musulman avec les normes des droits de l'homme, est posée à chaque fois qu'on parle du respect de ces droits et des libertés fondamentales dans le monde arabo-musulman.

L'objet de cet article est de présenter la position du droit musulman vis-à-vis d'un texte essentiel dans le domaine de la protection internationale des droits de l'homme, à savoir la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948.

Dans un premier temps, l'accent sera mis sur le rôle joué par les représentants des Etats islamiques lors de l'élaboration de cette Déclaration universelle, cela nous permettra notamment d'étudier quelques règles du droit musulman en relation avec les droits de l'homme. Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à l'étude de trois textes, d'une part la Déclaration de Decca sur les droits de l'homme en Islam du 11 décembre 1983, d'autre part la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam du 20 août 1990 et enfin la Déclaration Islamique Universelle des Droits de l'Homme du Conseil du 19 septembre 1981.

I. LE ROLES DES REPRESENTANTS DES ETATS ISLAMIQUES LORS DE L'ELABORATION DE LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME

Dix Etats islamiques ont participé aux travaux de l'élaboration de cette Déclaration. Il s'agissait de l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Egypte, l'Irak, l'Iran, le Liban, le Pakistan, la Syrie, la Turquie et le Yémen.

Avant d'aller plus loin dans notre étude, il convient de revenir sur la notion d'« Etat islamique ».

1. Comment définir un « Etat islamique »

S'il paraît facile aujourd'hui de déterminer, sur un plan juridique, la notion d'Etat, il est, par contre, plus délicat d'identifier un Etat comme « Etat islamique ».

Divers critères ont pourtant été avancés à cette fin. Selon un premier critère : « Les Etats musulmans (sont) des Etats indépendants à majorité musulmane que l'Islam y soit religion d'Etat ou non » 1. Un autre critère a été dégagé en vertu des invitations adressées par les organisateurs du premier Sommet islamique en 1969 2. Ainsi ce serait le pourcentage de la population musulmane par rapport à la population globale, le taux approchant au moins de 20% déterminerait l'islamité d'un Etat 3.

Ni le premier critère d'ordre institutionnel, ni le second d'ordre quantitatif (démographique), ne permettent réellement d'identifier un Etat comme étant un Etat islamique, car un Etat comme l'Inde, avec plus de 20% de musulmans a été, par exemple, exclu du premier Sommet islamique 4.

D'autres critères ont également été avancés, notamment par la Charte de l'Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I.), et par les docteurs musulmans anciens et contemporains 5.

a) Les critères de La Charte de l'Organisation de la Conférence Islamique

La Charte de l'Organisation de la Conférence Islamique a été adoptée par la 3ème Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères tenue à Djedda (Arabie saoudite) du 29 février au 4 mars 1972 6.

L'article VIII de la Charte de cette Organisation 7 considère que les Etats « ayant participé à la Conférence Islamique des Rois et Chefs d'Etat et de Gouvernement de Rabat, des Etats ayant participé aux deux Conférences Islamiques des Ministres des Affaires Étrangères à Jeddah et de Karachi et qui ont signé la présente Charte » doivent être considérés comme des Etats islamiques.

Ce critère n'est pas satisfaisant à notre avis. Il ne règle pas le problème de la définition et laisse subsister quelques ambiguïtés dans la mesure où il y a eu des Etats qui ont participé au premier Sommet islamique à Rabat, mais qui « n'ont pas (pour autant) participé à la première Conférence des Ministres des Affaires étrangères des Etats Islamiques tenue à Jeddah en mars 1970, et que d'autres n'ont même pas participé à la deuxième Conférence des Ministres des Affaires étrangères tenue à Karachi au mois de décembre (1970) » 8 .

D'autres critères ont également été proposés, notamment un nouveau critère « quantitatif » considérant un Etat comme islamique si le pourcentage de sa population musulmane atteint 50% au plus. Un critère « constitutionnel » considérant qu'un Etat est islamique si la constitution de cet Etat précise que la religion de l'Etat est l'islam. Enfin, un critère « subjectif » considérant un Etat comme un Etat islamique si la religion du Chef de l'Etat ou du gouvernement est l'islam 9. Mais tous ces critères ne sont pas « d'une grande clarté » non plus 10.

b) Les critères du droit musulman classique

Si la majorité des docteurs musulmans sont d'accord, dans leurs études et travaux, sur l'existence, en droit musulman, de trois catégories de pays (Dar al-Islam , Dar al-Harb, Dar al-Sulh). Il convient de faire une distinction entre les définitions données par les anciens et celles données par les contemporains :

L'appellation de pays ou Maison de l'Islam (Dar al-Islam) : pour les anciens et les docteurs musulmans contemporains désignent les pays dans lesquels les principes de l'Islam sont respectés, les règles de droit musulman sont applicables, les musulmans sont en sécurité et ne sont menacés ni dans leur personne, ni dans leurs biens.

Le pays ou Maison de la guerre (Dar al-Harb) renvoie à un espace territorial dans lequel les principes et les règles de l'Islam ne sont, dans ce type de pays, ni respectés ni appliqués parce que l'autorité n'est pas entre les mains des musulmans, et les musulmans ne sont pas en sécurité 11.

Le pays ou Maison de traité (Dar al-'ahd / Dar al-Sulh) : pour les anciens docteurs, les musulmans n'exercent, dans ce troisième type de pays, aucune autorité, mais ils ont conclu un traité avec le gouvernement du pays. Dans certains cas et en vertu de ce traité, ce gouvernement paye un tribut aux musulmans.

Quelques docteurs musulmans contemporains sont d'avis que cette notion couvre en fait l'ensemble des pays non-musulmans aujourd'hui car des traités existent entre les différents pays du monde, ainsi que des relations diplomatiques, culturelles et commerciales régulières entre eux 12.

Nous pouvons ajouter, également, que les Etats sont liés entre eux par des traités bilatéraux et multilatéraux. Ils sont membres des différentes organisations internationales et sont supposés travailler ensemble pour la paix et la sécurité dans le monde, ce qui signifie que nous sommes donc en fait aujourd'hui face à deux catégories de pays : les pays dits de l'Islam et les pays dits de traité. Si un pays de traité déclare la guerre à un pays de l'Islam, l'envahit, occupe son territoire ou attaque sa population, il sera alors considéré, selon les critères du droit musulman classique, comme un pays en état de guerre, et le pays de l'Islam aura alors le droit de se défendre.

Mais au-delà de ce problème de définition, les Etats islamiques existent aujourd'hui sur la scène internationale : ce sont les Etats membres de l'O.C.I. 13.

2. La participation des Etats islamiques à l'élaboration de la Déclaration universelle

Le 10 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme par 48 voix contre 8 abstentions 14. Cette Déclaration était le volet d'un triptyque qui constitue la Charte internationale des droits de l'homme. Les autres volets étaient un pacte des droits de l'homme et des mesures d'applications correspondantes.

C'est le Conseil économique et social de l'O.N.U., qui a confié à la Commission des droits de l'homme, en application d'une résolution du 16 février 1946, la tâche de préparer une déclaration.

Dans un premier temps, le secrétariat des Nations unies a proposé, à cette Commission, une « Déclaration internationale des droits de l'homme » 15. Et, c'est René Cassin, président de la délégation française, qui obtint que « la Déclaration des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale en 1948 soit qualifiée d'universelle » 16.

Dans un deuxième temps, la Commission a créé un groupe de travail composé des représentants des Etats-Unis, de la France, du Liban et du Royaume-Uni en vue de préparer le premier projet de la déclaration. Ce projet fut soumis plus tard à la Commission. Cette dernière, à son tour, devait présenter, à l'Assemblée générale, le projet d'une déclaration comprenant un préambule et vingt-huit articles.

Auparavant, l'Assemblée générale avait transmis, le 24 septembre 1948, à la Troisième Commission (la Commission des questions sociales, humanitaires et culturelles) le projet de la déclaration. Cette Commission a examiné le projet sans tenir compte du « pacte et des mesures d'applications », et elle a recommandé, plus tard, à l'Assemblée générale, l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La Troisième Commission était composée des représentants de tous les Etats membres des Nations unies et parmi eux les représentants des Etats islamiques déjà cités.

Quelques articles du projet de la Déclaration (notamment les articles 1er, 13, 16 et 18) ont fait l'objet de vives interventions de la part de représentants des Etats islamiques 17.

a) L'article 1er

Cet article stipule que :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Lors de sa 3ème session, la Commission des droits de l'homme avait rédigé l'article 1er, après quelques amendements, comme suit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. La nature les dote de raison et de conscience et ils doivent se comporter entre eux dans un esprit de fraternité ».

Avant les discussions qui ont été engagées à l'Assemblée générale concernant cet article, M. Malik (Liban) est intervenu contre la proposition du représentant chinois M. Chang suggérant la suppression des mots « Ils sont doués de raison et de conscience » allégeant que ces mots étaient discutables. Aux yeux de M. Malik, ces mots rappelaient les attributs des être humains qui les différencient des animaux 18. En effet, on retrouve, dans cette distinction, entre les êtres humains et les animaux, une conception essentielle du droit musulman : les hommes y sont respectés et considérés comme nobles dès leur premier jour comme leur père Adam 19.

Par ailleurs, devant la Troisième Commission, M. Azkoul (Liban) a proposé de modifier ainsi l'article 1er : « Tous les être humains sont libres et égaux » parce que la phrase : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux » constituait, d'après lui, une menace dans la mesure où elle pourrait suggérer que l'homme puisse être privé de ses droits pour une raison quelconque. Cette proposition fut jugée intéressante 20, plusieurs délégués l'ont appuyé, mais M. Cassin a insisté pour maintenir cette phrase dans sa version originelle : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux... », car pour lui, la réalité de la liberté et de l'égalité des hommes existe pour eux du fait de leur naissance, quels que soient les événements postérieurs 21.

Plusieurs représentants des Etats islamiques sont également intervenus concernant la transformation de la première phrase de cet article 1er, en une disposition du préambule de la Déclaration. Toutefois, la position de ces représentants n'était pas unanime. Les représentants du Liban, de l'Iran, de la Syrie et de la Turquie ont voté contre la transformation, alors que les représentants de l'Afghanistan et de l'Egypte se sont abstenus.

Le représentant de l'Irak, M. Abadi, a estimé, lui, que la rédaction de l'article 1er n'était pas satisfaisante. Il proposa le texte suivant : « Tous les êtres humains doivent être libres et égaux en dignité et en valeur, et avoir droit d'être traités de la même façon et à jouir d'égales possibilités » 22.

Le représentant de la Belgique, enfin, a proposé la suppression des mots « par la nature » pour éviter une controverse entre les croyants qui sont contre l'idée de « nature », et les non-croyants qui la trouvent acceptable. Après les interventions d'autres délégués, on a soumis aux voix l'expression « par la nature », qui a été supprimée par 26 voix contre 4 avec 9 abstentions 23.

L'opinion dominante a estimé que le droit naturel ne peut être le seul et unique fondement des droits de l'homme, car il n'est pas universel 24, alors que les valeurs qu'expriment les droits de l'homme se trouvent dans toutes « les doctrines politiques, sociales et religieuses » 25, et pas seulement dans le droit naturel !

S'agissant de l'Islam, le droit naturel correspond à la fitra, ce qui signifie « une manière de créer ou être créé » 26, et l'homme ne vit pas seulement de sa fitra. Ainsi, selon la religion musulmane, Dieu a dicté la loi divine qui est « un droit « naturel » dans le sens que sa source première, le Coran, est « immuable autant qu'éternel » 27, et il n'y a aucune contradiction, pour la philosophie juridique islamique majoritaire, entre « droit naturel (et rationnel) et droit révélé » 28. Dès lors, la suppression des mots « par la nature » était, à notre avis, tout à fait justifiée, parce qu'il ne faut pas négliger le rôle d'autres facteurs : religieux, économiques et sociaux dans la vie de l'homme libre.

b) L'article 13

Celui-ci stipule :

« 1-Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.

2-Toute personne a le droit de quitter tout pays y compris le sien, et de revenir dans son pays ».

Le représentant du Liban, M. Azkoul, est intervenu d'une façon remarquable afin de réparer une omission de projet de cet article 13, tel qu'il était rédigé : « Toute personne peut circuler et choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien » 29.

Le droit de quitter tout pays, y compris le sien, est un droit fondamental pour chacun, mais ce droit ne serait complet que s'il est accompagné du droit de revenir dans son pays quand il le voudra, qui est une conséquence logique de sa liberté de quitter son pays. Cette proposition a été adoptée par 33 voix contre zéro, avec 8 abstentions 30.

Ce même article a fait l'objet de trois autres réserves différentes de la part de M. Cassin, de la part du représentant soviétique et de la part de M. Baroody (Arabie saoudite). Ce dernier a notamment déclaré à propos des mots « de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat » que son gouvernement se réservait le droit de continuer à agir selon les lois et procédures en vigueur dans son pays.

Pour comprendre la position du représentant d'Arabie saoudite, il faut rappeler que les docteurs musulmans ne sont pas unanimes pour reconnaître le droit d'un non-musulman de pénétrer sur le territoire sacré, c'est-à-dire La Mecque et la région environnante ni dans la région connue sous le nom du Hedjâz31.

En effet, pour les écoles juridiques Shafi'te 32 et Hanbalite 33, le non-musulman n'a pas le droit de pénétrer dans le Hédjâz sauf une exception : « s'il vient, par exemple, en qualité d'ambassadeur ou s'iLapporte des objets de première nécessité » 34. L'école Malikite 35 interdit strictement l'accès du Hédjâz aux non-musulmans 36. L'école Hanafite 37, quant à elle, autorise le non-musulman à pénétrer dans le Hédjâz38. Quant au territoire sacré, les écoles malikite, Shafi'te et Hanbalite ont unanimement interdit aux non-musulmans d'y pénétrer, contrairement à l'école Hanafite qui en a autorisé l'accès 39.

Dans son intervention, M. Baroody (Arabie saoudite) s'est implicitement référé à la législation de son pays, basée sur la doctrine Wahabite 40, qui trouve ses sources dans le rite Hanbalite, et qui interdit aux non-musulmans de pénétrer dans les deux villes (Mecque) et (Médine) et ses régions environnantes.

A la différence de la législation Wahabite , l'école Hanafiteest plus tolérante concernant ce sujet, d'autant plus, que la ville de Médine, par exemple, ne se trouve pas incluse, d'après Al-Mawardi, dans le territoire sacré, c'est-à-dire La Mecque et la région environnante.

c) L'article 16

Il stipule :

« 1- A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

2- Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux.

3- La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat ».

Cet article 16 donna lieu à plusieurs interventions et propositions de la part des représentants des Etats islamiques. Ainsi, devant la Troisième Commission, le texte suivant, avait été présenté :«

1- L'homme et la femme d'âge nubile ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils jouissent de droits égaux en matière de mariage.

2- Le mariage ne peut être contracté qu'avec le plein consentement des deux époux.

3- La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection » 41.

Le représentant de l'Arabie saoudite devait déclarer que le terme « nubile » au paragraphe 1 du texte de base était ambigu, car il ne signifie pas nécessairement « d'âge nubile conformément à la loi ». ILa proposé de le remplacer par les mots « ayant atteint l'âge légal pour contracter mariage » et d'en restreindre la portée en insérant la phrase supplémentaire « dans chaque pays ».

Mais devant plusieurs objections présentées concernant cet amendement, M. Baroody (Arabie saoudite) a présenté une nouvelle rédaction de ce paragraphe 1er, ainsi conçu : « Dans chaque pays, l'homme et la femme ayant atteint l'âge légal pour contracter mariage ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils jouissent de tous les droits prévus par les lois de leur pays sur le mariage ». Et, M. Baroody expliquait qu'iLa proposé de remplacer les mots « jouissent de droit égaux en matière de mariage » dans la deuxième phrase du paragraphe 1er, par l'expression « jouissent de tous les droits prévus par les lois de leurs pays sur le mariage », parce que « les droits de l'homme et de la femme en matière de mariage doivent être évalués en termes qualitatifs plutôt que quantitatifs. C'est la raison pour laquelle les droits respectifs de chaque sexe sont si clairement définis dans tous les codes civils » 42.

Le représentant du Pakistan, Mme Ikramullah, a appuyé la proposition de M. Baroody en expliquant que les lois islamiques relatives au mariage donnent, dans tous les Etats où elles sont appliquées, une garantie suffisante à toutes les femmes 43.

Cette nouvelle rédaction présentée par l'Arabie saoudite fut finalement rejetée.

M. Azkoul (Liban) a proposé alors l'addition des mots « libre et » devant la phrase « plein consentement » pour que le consentement ne puisse être obtenu sous la contrainte morale ou même physique. Cette proposition a été adoptée par 36 voix contre zéro, avec 5 abstentions.

Mais une vive discussion a éclaté quand M. Compos Ortiz (Mexique) a fait insérer les mots « sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou religion » en prenant en considération le fait qu'il s'agisse d'une répétition partielle de l'article 2 de la Déclaration.

Les représentants des Etats islamiques ont alors manifesté leur mécontentement. Le représentant du Liban déclara qu'il s'abstiendrait de voter. Mme Ikramullah (Pakistan) s'est opposée à cet amendement, n'acceptant pas que l'on ne tienne pas compte des considérations religieuses pouvant empêcher le mariage. M. Baroody devait ici faire état de l'incompatibilité de cet amendement avec le droit musulman. La Troisième Commission a finalement adopté cet amendement par 22 voix contre 15, avec 6 abstentions. L'Irak, le Pakistan et la Syrie ont voté contre. L'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Iran et le Liban se sont abstenus 44.

Les raisons qui ont poussé les représentants des Etats islamiques à exprimer leur mécontentement sont basées sur certaines règles de la Charia en matière matrimoniale, notamment celle qui interdit à un musulman d'épouser une païenne. Le musulman peut par contre épouser une femme parmi (les gens du Livre) (ahLal Kitab), une juive ou une chrétienne. D'autre part, la femme musulmane ne peut épouser un non-musulman. Et, tous les codes du statut personnel des Etats arabes, par exemple, spécifient cette interdiction 45.

d) L'article 18

Ce dernier stipule :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement de rites ».

Cet article a soulevé, avant son adoption par l'Assemblée générale, de vives protestations de la part des représentants des Etats islamiques. C'est ainsi que M. Baroody (Arabie saoudite) s'est opposé à cette clause concernant le changement de religion. Pour lui, cette clause joue en faveur des interventions politiques étrangères qui se présentent comme des missions pratiquant le prosélytisme 46. Le représentant de l'Egypte s'est joint au représentant saoudien en expliquant que la proclamation, par la Déclaration, de cette liberté de changer de religion, traduit « les machinations de certaines missions bien connues en Orient, qui poursuivent inlassablement leurs efforts en vue de convertir à leur foi les populations de l'Orient » 47.

On comprend bien les motifs de ces missions dites « missions civilisatrices » qui n'ont d'autre but que d'imposer leur « propre conception des droits de l'homme : la conception libérale » 48, dans laquelle se trouve la liberté de changer de religion.

A ces raisons politiques et « civilisatrices », il faut ajouter l'interdiction stricte faite par la sharî'a d'abandonner la religion musulmane 49.

Dès lors, on peut logiquement comprendre les protestations qui ont été élevées par les représentants de l'Afghanistan, l'Irak, le Pakistan et la Syrie en soutenant la position du représentant de l'Arabie saoudite, ainsi que la réserve faite par le représentant de l'Egypte concernant cette clause 50.

Le Président de la Troisième Commission a mis au vote la proposition de l'Arabie saoudite de supprimer la clause permettant le changement de religion : par 22 voix contre 12, avec 8 abstentions, la proposition fut rejetée. Les représentants de l'Afghanistan, de l'Arabie saoudite, de l'Irak, du Pakistan, et de la Syrie ont voté contre cette clause. Les représentants du Liban et de la Turquie ont voté pour, le représentant de l'Iran s'est abstenu.

Si nous cherchons les raisons de cette interdiction énoncée par la Charia, concernant le changement de religion, nous trouverons ses origines dans les événements historiques qui ont justifié son introduction après l'émigration (hégire) du Prophète Muhammad et de ses compagnons de La Mecque à Médine, en l'an 622 de l'ère chrétienne. Les Arabes de Médine se sont convertis dans leur totalité à la religion musulmane, ils étaient unis après une période de rivalité armée. A Médine, il y avait des gens qui se sont convertis à l'Islam dans un premier temps puis ont abjuré semant le doute chez les musulmans en ce qui concerne leur religion et leurs convictions. Le Coran a parlé de cet épisode 51 et a interdit le changement de religion pour faire échec aux tentatives de ceux qui cherchent à faire naître le doute chez les croyants. Dès lors, « nul n'envisagera plus d'adopter la foi islamique sans qu'iLait au préalable mûri sa décision à la lumière de la raison et de la science, et en vue d'une conversion définitive et permanente » 52.

Les docteurs musulmans contemporains, qui parlent aujourd'hui des conséquences de changement de religion, s'efforcent de distinguer deux catégories de personnes : celles pour qui le changement reste une affaire personnelle et privée et qui ne proclament pas ce changement ou ne poussent pas les autres à le faire. Le deuxième groupe est celui dont les personnes cherchent à semer le doute chez les musulmans, à attaquer leur religion ou à troubler l'ordre public à travers leurs gestes, paroles ou publications. Pour la première catégorie aucune intervention n'est justifiée « en ce monde » 53. Par contre, il faut adopter une position ferme concernant ceux qui cherchent à troubler l'ordre public, parce qu'aucune autorité, dans n'importe quel pays, ne tolère les troubles et elle sanctionne toujours les coupables 54. Nous partagions pleinement, le point de vue de ces docteurs musulmans, car cette position est celle qui reflète le mieux l'esprit du droit musulman qui n'intervient jamais dans la vie privée de l'homme, mais qui la protège au-delà de toute conviction ou croyance .

D'autre part, il ne faut pas oublier non plus que la liberté de changer de religion est un élément de la liberté religieuse dans son ensemble et cette liberté peut être restreinte pour différentes raisons à savoir, par exemple, la paix entre les hommes, le respect de l'ordre public. Ainsi, comme l'a souligné Morris Abram, « reconnaître la liberté de pensée, de conscience et de religion comme un droit inhérent à la personne humaine n'en fait pas une liberté absolue, mais permet d'imposer des restrictions sévères et des critères rigoureux à toute considération que l'on pourrait invoquer pour justifier une atteinte à l'exercice de ce droit » 55.

II. LES DECLARATIONS ISLAMIQUES RELATIVES AUX DROITS DE L'HOMME

Les Conférences des ministres des Affaires étrangères de l'O.C.I ont adopté deux déclarations sur les droits de l'homme en Islam : « La Déclaration de Decca sur les droits de l'homme en Islam », en 1983, et « La Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam », en 1990.

D'autre part, le Secrétariat général de l'O.C.I avait auparavant préparé, entre 1979 et 1981, plusieurs projets d'une « Déclaration des droits de l'homme en Islam ».

1. Les projets

Le premier projet, datant de 1979, était intitulé « La Déclaration des droits et des obligations fondamentales de l'homme en Islam » 56. Ce projet contient trente et un articles et un préambule qui reprend les grands thèmes de la Charia : l'homme est le lieutenant de Dieu sur terre, la noblesse de l'être humain, le respect de sa dignité sans aucune discrimination, l'unité de la famille humaine et le caractère obligatoire des droits de l'homme en Islam. Aucune référence à un texte international relatif aux droits de l'homme n'a été faite par ce préambule ! D'autre part, nous pouvons distinguer entre deux groupes de dispositions de ce projet. Le premier reprend les dispositions classiques des droits de l'homme en Islam. A savoir, par exemple : l'article 1er confirme l'égalité entre les hommes quant à leur dignité. Il n'y a aucune supériorité entre les membres de la famille humaine, sauf en ce qui concerne les Suvres de bien qu'ils accomplissent (art. 2). Il est interdit à toute personne d'abandonner sa vie, sa liberté ou sa dignité. Il en est de même pour l'interdiction de l'esclavage et la traite des esclaves (art. 20). La notion de la « responsabilité » revient plusieurs fois pour insister sur la corrélation du droit et du devoir en Islam. Le deuxième groupe a des dispositions qui ressemblent à celles figurant dans les textes internationaux relatifs aux droits de l'homme, comme le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, d'assurer leur développement économique social et culturel, et de disposer de leurs richesses et de leurs ressources naturelles (art. 3 et 4).

Mais l'originalité dans ce projet consiste dans l'affirmation de l'égalité, en droits, entre l'homme et la femme. Ainsi, l'article 6 de ce premier projet stipule que : « Tous les hommes sont égaux devant la loi quant aux droits et aux obligations, sans aucune discrimination entre eux » 57.

Le deuxième projet, datant de 1981, était intitulé « La Déclaration sur les droits de l'homme en Islam » 58. Le préambule de ce projet rappelle les principes de l'Islam : croire en Dieu, en son unicité, et reconnaître le message du Prophète Muhammad. Il souligne la spécificité des enseignements de la Charia qui cherchent « à sauvegarder la foi, la vie, la raison, l'honneur, les biens, la descendance » 59 de l'humanité. D'autre part, le préambule, en attirant l'attention sur les efforts déployés par la communauté internationale en faveur des droits de l'homme et spécialement « la proclamation et les conventions adoptées par l'Assemblée Générale des Nations Unies » manifeste la volonté des Etats membres de l'O.C.I. d'accomplir ces efforts. Enfin, le préambule insiste sur le fait que les droits et les libertés en Islam constituent une partie de cette religion monothéiste et que personne n'a le droit de violer, entraver ou ignorer, totalement ou partiellement ces droits et libertés « parce qu'ils sont des dispositions divines à suivre ; ».

Les différentes dispositions de ce projet ont mis l'accent sur l'unité de la famille humaine et sur l'égalité de ces membres quant à leur droit à la vie, à leur dignité, à leurs devoirs et à leurs responsabilités envers le « Tout-Puissant, » sans aucune « condition de race, de couleur, de langue, de région, de sexe, de croyance, d'appartenance politique, de situation sociale ou d'autres considérations ; ». L'article 23 interdit toute torture physique, morale ou tout autre traitement humiliant ou dégradant et tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité humaine. D'autre part, l'article 4 insiste sur le fait que la femme, qui est la sSur de l'homme, est « égale à lui sur le plan humain ; ses droits sont équivalents à ses devoirs ». La femme ne perd par le mariage, ni sa personnalité civile, ni ses biens matériels, ni son nom patronymique, ni ses biens de famille. Mais, ce projet n'affirme pas l'égalité entre l'homme et la femme en droits, comme ce fut le cas du premier projet ! L'article 12 de ce deuxième projet parle, de son côté, de la liberté de croyances ou des rites mais il interdit de profiter de la pauvreté de l'individu, ainsi que « de sa faiblesse ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ». Le respect et l'indépendance de la vie privée qui concerne le domicile, la famille, les biens et les relations de tout individu sont assurés par l'article 20. Enfin, malgré les quelques dispositions significatives de ce deuxième projet, comme la volonté des Etats membres de l'O.C.I d'accomplir les efforts déployés par la communauté internationale en faveur des droits de l'homme, le progrès enregistré par le premier projet à savoir l'affirmation de l'égalité entre l'homme et la femme en dignité et en droit ont été supprimés !

2. La Déclaration de Decca sur les droits de l'homme en Islam

La quatrième conférence des ministres des Affaires étrangères de l'O.C.I, tenue à Dacca au Bangladesh, en décembre 1983, avait adopté « La Déclaration de Dacca sur les droits de l'homme en Islam » 60. La proclamation de cette Déclaration a été prévue pour plusieurs Sommets islamiques de cette Organisation, mais aucun ne l'a proclamé.

Cette Déclaration n'est pas divisée des articles ! Ce sont des paragraphes, neuf au total, qui reprennent, plus ou moins, ce qui était exposé dans les deux projets déjà cités. Ainsi, les Etats membres de l'O.C.I. affirment et réaffirment leur foi en Dieu, en son unicité, en son Prophète Muhammad, dans la place « d'honneur » réservée à l'homme, et le rôle culturel et historique de l'Umma islamique qui doit contribuer « aux efforts déployés par l'humanité pour affirmer les droits de l'Homme et le protéger contre l'exploitation et la persécution, et lui assurer la liberté et le droit de vivre dans la dignité, conformément à la sharî'a islamique ».

Ces Etats proclament l'égalité entre les hommes, et demandent d'abolir « la discrimination et la haine du cSur des hommes ». Ces Etats honorent la Charia qui protège les intérêts vitaux de l'homme et assure « un équilibre entre les obligations et droits individuels et les privilèges collectifs ».

Les Etats islamiques sont convaincus que « les libertés et droits fondamentaux, conformément à la sharî'a, sont parties intégrantes de l'Islam » et que personne n'a le droit de les abolir partiellement ou entièrement ou de les violer ou de les ignorer, car « il s'agit d'injonctions divines, énoncées dans Ses Livres Révélés ». Enfin, ces Etats sont convaincus que l'humanité constitue une seule famille et que « tous les hommes partagent la même dignité et les mêmes responsabilités et droits fondamentaux, sans distinction aucune de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d'opinion politique, de statut social ou toute autre considération ».

Cette Déclaration présente et représente les mêmes dispositions déjà exposées à maintes reprises dans la littérature classique islamique sur les droits de l'homme en Islam ! Le seul point positif est l'affirmation de l'égalité entre les « hommes ». C'est-à-dire l'égalité, à notre avis, entre l'homme et la femme en dignité et en droits également.

3. La Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam

La Conférence des ministres des Affaires étrangères de l'O.C.I a adopté, le 2 août 1990, et par sa résolution n° 49/19-P 61, la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam 62. Il contient un préambule et vingt-cinq articles.

a) Le préambule de la Déclaration du Caire

Le préambule de cette Déclaration affirme que les Etats membres de l'O.C.I sont convaincus que les droits fondamentaux et les libertés publiques en Islam, font partie « de la Foi islamique », car ce sont les droits et les libertés dictés par Dieu « dans ses Livres révélés », et qui sont l'objet du message du dernier Prophète Muhammad.

Ainsi, cette Déclaration confirme le caractère divin, et à la fois sacré, des droits de l'homme qui trouvent leurs sources d'inspiration dans tous les livres révélés aux prophètes.

D'autre part, la Déclaration du Caire insiste, en premier lieu, sur le rôle de l'Umma, la communauté des croyants. On attend d'elle, d'après le préambule, de jouer son rôle pour qu'elle « éclaire la voie de l'humanité » et pour qu'elle « apporte des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste ».

La Déclaration en question reconnaît les droits de l'homme afin que l'homme soit protégé « contre l'exploitation et la persécution ».

Enfin, force est de constater que nous ne trouvons aucune référence, dans ce préambule, ni à la Charte de l'O.N.U., ni à la Déclaration universelle des droits de l'homme !

b) Les dispositions de la Déclaration du Caire

La Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam regroupe les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels, et quelques principes du droit international humanitaire.

Elle a consacré seize articles aux droits civils et politiques. Ce sont les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 18, 19, 20, 21, 22 et 23.

Ainsi, on trouve successivement le droit à la vie (art. 2), l'interdiction de la servitude, de l'humiliation et de l'exploitation de l'homme qui est né libre (art. 11), le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (art. 18), l'égalité devant la loi et les garanties judiciaires (art. 19 et 20), la liberté d'expression et d'information (art. 22).

D'autre part, la Déclaration du Caire a consacré six articles aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce sont les articles suivants : 9, 13, 14, 15 et 16.

Elle insiste, en premier lieu, sur les droits culturels : « La quête du savoir est obligatoire », et la société et l'Etat sont tenus d'assurer l'enseignement qui est « un devoir » (art. 9). Et, « Tout homme a le droit de jouir du fruit de toute Suvre scientifique, littéraire, artistique ou technique dont il est l'auteur » (art. 16). L'article 13 parle du droit du travail, des garanties sociales pour les travailleurs et des devoirs de l'Etat dans ce domaine. Le droit de propriété « acquise par des moyens licites » est garantie (art. 15 (a)), et l'usure est prohibée (art. 14).

c) Spécificités de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam

La spécificité de la Déclaration du Caire se manifeste au travers de plusieurs dispositions :

Le respect de la vie et l'intégrité du corps humain

la vie est présentée dans cette déclaration comme « un don de Dieu », et ce don est « garanti à tout homme » (art. 2 (a)). Celle du fStus est par exemple considérée, d'après les règles de la sharî'a, comme une vie à partir du quatrième mois, et elle doit être protégée comme la mère qui le porte (art. 7 (a)).

La Déclaration insiste également sur le respect de l'intégrité du corps humain, et « celui-ci ne saurait être l'objet d'agression ou d'atteinte sans motif légitime ». Et, il incombe à l'Etat de garantir le respect de cette inviolabilité (art. 2 (a)).

Les principes du droit international humanitaire

La Déclaration énonce quelques principes du droit international humanitaire. Ainsi, l'article 3 évoque ces principes comme l'interdiction, en cas de recours à la force ou de conflits armés, « de tuer les personnes qui ne participent pas aux combats, tels les vieillards, les femmes et les enfants », ou « L'abattage des arbres, la destruction des cultures ou du cheptel, et la démolition des bâtiments et des installations civiles de l'ennemi par bombardement, dynamitage ou tout autre moyen».

L'article 3 parle aussi du droit du blessé et du malade d'être soigné, de l'échange de prisonniers, de leur droit d'être nourris, hébergés et habillés, et de la réunion des familles séparées.

Les devoirs

La notion de devoir ou plutôt la responsabilité individuelle de l'homme et la responsabilité collective de la communauté sont également affirmées dans la Déclaration du Caire.

Elle mentionne, à plusieurs reprises, les devoirs de l'Etat, de la société, du peuple, et de l'individu. Ainsi, l'Etat et la société « ont le devoir d'éliminer les obstacles au mariage, de le faciliter, de protéger la famille et de l'entourer de l'attention requise. » (art. 5 (b)). Il incombe au mari, en tant qu'individu, d'entretenir sa famille (art. 6, (b)). Les Etats et les peuples « ont le devoir de les soutenir dans leur lutte pour l'élimination de toutes les formes de colonisation et d'occupation. » (art. 11 (b)). Enfin, si tout homme a droit à une éducation, cette dernière « doit développer la personnalité de l'homme, consolider sa foi en Dieu, cultiver en lui le sens des droits et des devoirs et lui apprendre à les respecter et à les défendre. » (art. 9 (b)).

Le problème de la prise d'otages

La Déclaration s'intéresse à quelques phénomènes, en particulier. Ainsi, l'article 21 traite d'un problème qui préoccupe la communauté internationale, c'est-à-dire : la prise d'otages. Cet article interdit, « de prendre une personne en otage sous quelque forme, et pour quelque objectif que ce soit » 63.

Le droit à un environnement sain

L 'article 17 parle du droit de vivre dans un environnement sain, et il incombe à l'Etat, l'obligation de garantir ce droit. Un droit qui ne trouve sa place que dans l'article 24 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981.

d) Les controverses concernant quelques articles de la Déclaration du Caire

Quelques dispositions de cette Déclaration ont suscité des controverses :

Légalité

L 'article premier affirme que, « Tous les hommes, sans distinction de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d'appartenance politique, de situation sociale ou de toute autre considération, sont égaux en dignité et en responsabilité ».

Ainsi, l'égalité se manifeste, seulement, en dignité, en devoir et en responsabilité mais pas en droit ! Pourtant, le premier projet de 1979, déjà mentionné, insistait, dans son article premier, sur l'égalité entre tous les membres de la famille humaine. La Déclaration de Dacca affirme, de son côté, l'égalité en droits fondamentaux entre tous les hommes sans distinction aucune de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d'opinion politique, de statut social ou toute autre considération ». Par contre, l'article 6 alinéa (a) de la Déclaration du Caire parle de l'égalité entre la femme et l'homme mais seulement, sur le plan de la dignité humaine !

Le mariage

L 'article 5, alinéa (a), de la Déclaration du Caire, évoque, également, le droit de se marier. Et, « Aucune entrave relevant de la race, de la couleur ou de la nationalité ne doit les empêcher de jouir de ce droit ». Quant à la religion, elle n'était pas mentionnée, par cet alinéa (a), parce que la femme musulmane ne se voit pas reconnaître le droit, d'après la shaî'a,de se marier avec un non-musulman.

La liberté de croyance

A ucun article ne mentionne la liberté de croyance ou la liberté de manifester sa religion ! L'article 10 explique, seulement, « Aucune forme de contrainte ne doit être exercée sur l'homme pour l'obliger à renoncer à sa religion... ».

Pourquoi, a-t-on négligé de mentionner la liberté de croyance? Pourtant l'Islam respecte toutes les religions et interdit formellement toute contrainte dans la religion 64, et plusieurs versets coraniques insistent sur la liberté de religion 65. D'autre part, les règles de la Charia protègent la présence des minorités religieuses surtout les « gens du Livre » (juifs et chrétiens ).

Le droit d'asile et le problème des réfugiés

L 'article 12 confirme la liberté de l'homme, « de circuler et de choisir son lieu de résidence à l'intérieur de son pays », mais à condition de respecter les règles de la sharî'a. D'un autre côté, ce même article affirme le droit de se réfugier dans un autre pays si l'homme est persécuté. Et, « Le pays d'accueil se doit de lui accorder asile et d'assister sa sécurité, sauf si son exil est motivé par un crime qu'iLaurait commis en infraction aux dispositions de la Charia ».

La sharî'a comme seule source de référence

E nfin, les articles 24 et 25 précisent que les droits et les libertés énoncés dans la Déclaration « sont soumis aux dispositions de la Charia » et cette dernière est « l'unique référence pour l'explication ou l'interprétation de l'un quelconque des articles contenus » dans la Déclaration.

Une grande question se pose concernant cette référence : à quelle Charia ou précisément à quelle interprétation de la Charia se réfèrent ces deux articles pour expliquer ou interpréter l'un de ces articles? Car, nous savons qu'il y a, au moins, quatre écoles sunnites d'interprétations, et une ou plusieurs écoles chi'ites, et quelle interprétation serait alors valable?!

La Déclaration du Caire mélange en fait les normes des droits de l'homme et les normes du droit international humanitaire, dans un souci de montrer, que la Charia comprend des dispositions qui ressemblent, par exemple, aux dispositions figurant dans les Conventions de Genève de 1949.

Quelques droits et libertés font cruellement défaut dans cette Déclaration comme la liberté de religion, la liberté de croyance ou la liberté de manifester sa religion !

D'autres articles ressemblent aux articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme comme le droit à l'asile (art. 12), et le droit à la propriété mais en interdisant par exemple l'usure/Ribâ en même temps (art. 14). Concernant la pratique de l'usure, le Coran l'interdit dans plusieurs chapitres/sourates 66 . Les raisons de cette interdiction consistent à briser l'exploitation, de l'homme par l'homme, pour réhabiliter le travail, et de prohiber les contrats usuraires qui condamnaient, historiquement, les débiteurs à l'esclavage s'ils n'honoraient pas leurs engagements vis-à-vis de leur créancier 67. Et, encore une fois, les juristes musulmans contemporains nuancent aujourd'hui cette interdiction qui concerne ce contrat l'usure à terme (Ribâ an-nasî'a) mais pas les autres contrats 68.

Il n'en reste pas moins que la Déclaration du Caire contient des dispositions qui sont très spécifiques, par exemple : l'interdiction de prendre une ou des personnes en otage ou le droit de vivre dans un environnement sain. Mais la Déclaration ne reflète pas, à notre avis, et en une large mesure, une lecture ouverte et tolérante de l'islam d'aujourd'hui.

4. La Déclaration Islamique Universelle des Droits de l'homme

A l'occasion de la célébration du commencement du 15ème siècle de l'hégire du calendrier musulman, le Conseil Islamique, une organisation non gouvernementale basée à Londres, a proclamé, le 19 décembre 1981, par son Secrétaire général, au siège de l'Unesco, « La Déclaration islamique universelle des droits de l'homme » 69. Cette Déclaration a attiré, lors de sa proclamation, l'attention sur l'Islam et les droits de l'homme, au moment où les milieux académiques et religieux ont presque oublier que cette question a déjà été débattue lors de quatre colloques organisés à Riyad (Arabie saoudite) en 1972, et à Paris, au Vatican, à Genève et à Strasbourg en 1974 70, et lors d'un cinquième colloque sur les droits de l'homme en Islam organisé, du 9 au 14 décembre 1980 à Koweït city, par la Commission Internationale des Juristes (Genève), l'Union des avocats arabes (le Caire) et l'Université du Koweït 71. Cette Déclaration islamique universelle contient un préambule et vingt articles et elle se base, en premier, sur le Coran et sur la tradition du Prophète Muhammad en tant que sources principales de la sharî'a.

a) Le préambule de la Déclaration islamique universelle

Ce préambule parle, en premier lieu, de la croyance des musulmans, et établit, deuxièmement, un ordre islamique basé sur quelques principes fondamentaux : tous les êtres humains sont égaux et libres, l'interdiction de la discrimination quant à la race, à la couleur, au sexe, à l'origine, ou à la langue, l'esclavage et les travaux forcés sont proscrits, le respect de la famille et de son honneur, les gouvernants et les gouvernés sont égaux devant la loi.

La phrase « Loi Divine » ou le mot « Loi » revient à plusieurs reprises dans ce préambule ce qui signifie que les dispositions de cette Déclaration sont toujours soumises à la sharî'a.

Les droits de Dieu (hukuk Allah) sont des droits absolus affirmés par ce préambule 72. Ces droits 73 sont un dépôt (amana), l'homme a accepté de le porter 74.

b) Les dispositions de la Déclaration islamique universelle

La plupart de ces dispositions ressemblent à celles proclamées par la Déclaration universelle des droits de l'homme comme : le droit à la vie (art. 1er), le droit à la liberté (art. 2), le droit à la prohibition de toute discrimination (art. 3), le droit à la justice (art.4), le droit à un procès équitable (art.5), le droit à la protection contre la torture (art.7), le droit d'asile (art.9), le droit des minorités (art.10), le droit à la participation à la conduite et à la gestion des affaires publiques et cette participation est une obligation aussi (art.11), le droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole (art.12), le droit à la liberté religieuse (art.13), le droit à la libre association (art.14), le droit à la protection de la propriété (art.16), le droit des travailleurs leur statut et leur dignité (art.17), le droit à la sécurité sociale (art.18), le droit de fonder une famille et les questions connexes (art.19), le droit à l'éducation (art.21), le droit à la vie privée (art.22) et le droit à la liberté de déplacement et de résidence (art.23).

Ajoutons à cela quelques droits spécifiques comme, par exemple : la protection contre l'abus de pouvoir (art.6), la protection de l'honneur et de la réputation (art.8), et l'ordre économique et les droits qui en découlent (art.9). les droits de la femme mariée (art.20).

Mais ces dispositions laissent aussi quelques interrogations concernant, par exemple : la liberté de manifester sa religion ou le changement de religion même si l'art. 13 stipule que : « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de culte conformément à ses convictions ». Une autre interrogation est : l'égalité entre l'homme et la femme? Si cette égalité en dignité est clairement exposée dans la Déclaration, par contre cette dernière n'est pas très claire concernant l'égalité entre l'homme et la femme en droits. Ainsi, son préambule affirme, d'un côté, le principe de l'égalité entre « tous les êtres humains », les articles 19 et 20 de la Déclaration maintiennent, d'un autre côté, la position traditionnelle : « &Tout conjoint possède ces droits et privilèges et est soumis aux obligations stipulées par la Loi » (art. 19, al. a), et toute femme mariée à le droit : « d'hériter de son mari, de ses parents, de ses enfants et d'autres personnes apparentées conformément à la Loi » (art. 20, al. d). Et, la « Loi » ici est toujours la sharî'a

D'autre part, cette Déclaration tranche d'une façon claire sur quelques questions. Ainsi, le droit de chercher un refuge et le droit d'asile sont garantis, par l'alinéa 1er de l'art. 9 : « à tout être humain quels que soient sa race, sa religion, sa couleur ou son sexe ». Par contre, l'alinéa 2 de ce même article réserve aux musulmans seulement le droit de trouver un refuge à « Al Masjid Al Haram (la maison sacrée d'Allah) à la Mecque ». Ce qui explique ensuite que le droit de circuler librement dans « le Monde de l'Islam » est réservé à « tout musulman » (art.23), ce qui signifie que le non-musulman n'a pas le droit d'entrer, par exemple, dans les villes saintes d'Arabie saoudite, d'après les législations de cet Etat islamique, ce qui représente, à notre avis, et comme nous l'avons signaler précédemment, une interprétation rigoureuse de la sharî'a

CONCLUSION

Nous pensons que la majorité des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme, sont dans l'ensemble compatibles avec les règles de la Charia ou le droit musulman.

Néanmoins, quelques paragraphes des articles 16 et 18 de cette Déclaration sont en conflit avec certaines dispositions de la législation musulmane. Nous nous demandons si les interprétations récentes de ces règles ne nuancent pas ce conflit, en présentant, en même temps, une nouvelle lecture des règles de la sharî'a qui soit conforme aux normes actuelles des droits de l'homme? Ainsi, est-ce que nous allons toujours parler des sanctions à propos de la liberté de changer de religion si ce changement reste dans la sphère privée et sans conséquences dans la vie de la communauté musulmane?

D'autre part, la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam, adoptée par la Conférence des ministres des Affaires étrangères de l'Organisation de la Conférence Islamique en 1990 est un texte en nette régression, non seulement en comparaison avec la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, mais aussi en comparaison avec la Déclaration de Decca sur les droits de l'homme en Islam de 1983, et les deux projets précédents de la Déclaration des droits de l'homme en Islam, préparés par le Secrétariat général de cette Organisation en 1979 et 1981.

Cette régression concerne l'absence, d'un côté, de quelques droits et libertés comme, par exemple : l'égalité de l'homme et de la femme en droit et pas seulement en dignité, la liberté de croyance et son rôle pour les non-musulmans vivant dans les Etats islamiques et la référence ambiguë, d'un autre côté, à propos du rôle de la sharî'a dans l'interprétation des dispositions de cette Charte, et l'absence, enfin, des références aux textes internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Il faut bien reconnaître que l'adoption de cette Déclaration du Caire retarde, à notre avis, l'entrée en vigueur de la Charte arabe des droits de l'homme adoptée par le Conseil de la Ligue des Etats arabes le 15 septembre 1994 75. Quelques Etats arabes avancent, en effet, l'argument selon lequel, il n'est plus nécessaire de ratifier cette Charte dans la mesure où a été adoptée la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam?!

Enfin, nous avons la Déclaration islamique universelle des droits de l'homme qui s'adresse aux musulmans et aux occidentaux aussi, pour montrer que le Coran ne s'oppose pas à la conception occidentale des droits de l'homme 76. Mais elle présente une exigence morale 77 des droits de l'homme d'après une vision purement religieuse.

Le catalogue de ses droits sont mieux présentés que ceux de la Déclaration du Caire, et ils recouvrent, presque, l'ensemble des droits énumérés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

D'autre part, beaucoup d'interrogations subsistent concernant le contenu de cette Déclaration islamique universelle sans pourtant nier son originalité 78. Et, il ne faut pas non plus oublier que cette Déclaration est le fruit des efforts d'un groupe de musulmans qui ont pratiqué (l'Idjtihad) pour présenter leur vision religieuse des droits de l'homme à l'aube du 15ème siècle de l'hégire.

ANNEXES

ANNEXE I

LES ETATS MEMBRES DE L'ORGANISATION DE LA CONFERENCE ISLAMIQUE

1- Afghanistan 20- Guyane 39- Oman
2- Albanie 21- Guinée Bissau 40- Ouganda
3- Algérie 22- Indonésie 41- Pakistan
4- Arabie saoudite 23- Irak 42- Palestine
5- Azerbaidjan 24- Iran 43- Qatar
6- Bahrein 25- Jordanie 44- Sénégal
7- Bangladesh 26- Kazakstan 45- Sierra Leone
8- Benin 27- Koweît 46- Somalie
9- Brunei 28- Kirghizistan 47- Soudan
10- Burkina Faso 29- Liban 48- Suriname
11- Cameroun 30- Libye 49- Syrie
12- Comores 31- Malaisie 50- Tadjikistan
13- Côte d'Ivoire 32- Maldives 51- Tchad
14- Djibouti 33- Mali 52- Togo
15- Egypte 34- Mauritanie 53- Tunisie
16- Emirats Arabe-Unis 35- Maroc 54- Turquie
17- Gabon 36- Mozambique 55- Turkménistan
18- Gambie 37- Niger 56- Ouzbékistan
19- Guinée 38- Nigeria 57- Yémen

Etats observateurs

1- Bosnie-Herzégovine 2- Centrafrique

ANNEXE II

DECLARATION DU CAIRE SUR LES DROITS DE L'HOMME EN ISLAM

Les Etats membres de l'Organisation de la Conférence Islamique,

Réaffirmant le rôle civilisateur et historique de la Ummah islamique, dont Dieu a fait la meilleure Communauté ; qui a légué à l'humanité une civilisation universelle et équilibrée, conciliant la vie ici-bas et l'Au-delà, la science et la foi ; une communauté dont on attend aujourd'hui qu'elle éclaire la voie de l'humanité, tiraillée entre tant de courants de pensées et d'idéologies antagonistes, et apporte des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste ;

Soucieux de contribuer aux efforts déployés par l'humanité pour faire valoir les droits de l'homme dans le but de la protéger contre l'exploitation et la persécution, et d'affirmer sa liberté et son droit à une vie digne, conforme à la Charria ;

Conscients que l'humanité, qui a réalisé d'immenses progrès sur le plan matériel, éprouve et éprouvera le besoin pressant d'une profonde conviction religieuse pour soutenir sa civilisation, et d'une barrière pour protéger ses droits ;

Convaincus que, dans l'Islam, les droits fondamentaux et les libertés publiques font partie intégrante de la Foi islamique, et que nul n'a, par principe, le droit de les entraver, totalement ou partiellement, de les violer ou les ignorer,

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